lundi 21 novembre 2011

Interdire le bisphénol A : une loi inapplicable ?

Il ne sert à rien d'interdire le bisphénol A tant que l'on ne disposera pas de produits de remplacement, aussi intéressants et sans effet sur la santé. Or nous n'avons pas de tels matériaux de substitution." En présentant, ce matin, les conclusions du rapport de l'Académie de médecine sur l'évaluation du rôle des perturbateurs endocriniens dans l'apparition de cancers, le professeur Henri Rochefort, spécialiste de santé publique en cancérologie, a clairement dénoncé la loi adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 12 octobre dernier. Cette dernière dispose que la fabrication et la commercialisation de tout conditionnement en contact avec des aliments et contenant du bisphénol A (BPA) seront suspendues à partir du 1er janvier 2014 (et dès janvier 2013 en ce qui concerne les produits destinés aux enfants de moins de trois ans).
Et pourtant, avec son collègue le professeur Pierre Jouannet, les deux rapporteurs ne mettent pas en cause le bien-fondé de cette loi, justifiée par le principe de précaution. Les académiciens ont d'ailleurs tenu à rappeler l'augmentation sélective du nombre des cancers hormonodépendants. De 1980 à 2005, pour 100 000 personnes, on a compté 75 cancers féminins supplémentaires, dont 45 du sein et 10 de la thyroïde, et 98 cancers masculins, surtout ceux de la prostate ainsi que du testicule. Ces augmentations s'expliquent-elles par un dépistage accru ou par d'autres facteurs liés au mode de vie et à l'environnement? Pour l'instant, nul ne peut le dire. C'est pourquoi l'Académie a étudié l'impact possible des perturbateurs endocriniens, en particulier du BPA.
Extrapolation hasardeuse
Les études pratiquées sur des animaux de laboratoire montrent que des doses faibles, voire très faibles, de certains perturbateurs endocriniens peuvent stimuler les étapes initiales de la cancérogenèse de tissus sensibles aux hormones (principalement la prostate et le sein). Mais l'extrapolation à l'homme n'est pas évidente. C'est d'autant plus difficile que, pratiquement, toute la population est exposée au BPA, ce qui exclut la réalisation d'études dites cas-contrôle, c'est-à-dire où une partie de "l'échantillon" n'est pas exposée au produit que l'on teste.
En outre, la cancérogenèse est un processus lent dans lequel interviennent des facteurs ethniques, environnementaux et le mode de vie. Il faut encore ajouter à cela de possibles effets "cocktail" (mêlant plusieurs perturbateurs endocriniens) encore très peu étudiés et, surtout, "transgénérationnels" observés après exposition des foetus in utero.
Précautions
Le rapport de l'Académie confirme donc la dangerosité potentielle du BPA. Selon lui, "il convient dès à présent de prendre certaines mesures de précaution en améliorant l'information du public pour éviter la libération du BPA dans les aliments". Les femmes enceintes et celles qui allaitent sont les premières concernées. D'ailleurs, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) doit distribuer à leur intention une plaquette d'information avant la fin 2011 pour "promouvoir des gestes de précaution simples". Car, comme l'a souligné le professeur Rochefort, ce n'est pas le BPA qui pose problème, mais sa dégradation (par exemple sous l'effet de la chaleur ou de l'acidité). Et c'est finalement le message le plus important à faire passer aujourd'hui.

http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/anne-jeanblanc/interdire-le-bisphenol-a-une-loi-inapplicable-09-11-2011-1394665_57.php

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