Laisser partir» Vincent Lambert dignement ou empêcher son «euthanasie déguisée» : la famille déchirée du tétraplégique en état végétatif a pu exposer hier ses arguments devant la Cour européenne des droits de l'Homme, appelée à trancher cette affaire aux enjeux éthiques complexes. Dix-sept juges de la Cour de Strasbourg ont écouté durant deux heures les protagonistes de ce feuilleton judiciaire à rebondissements. Mais ils ne rendront pas leur arrêt avant deux mois.
Concordance des temps : le médecin de Vincent Lambert, le docteur Éric Kariger publie aujourd'hui aux Éditions Bayard son ouvrage intitulé «Ma vérité sur l'affaire Vincent Lambert.» Le praticien a soigné pendant six ans son patient âgé de 38 ans plongé dans un coma depuis un accident de la route. Face aux pressions qu'il n'a cessé de subir, le gériatre a raccroché sa blouse de directeur du service des soins palliatifs du CHU de Rennes.
Êtes-vous confiant dans la décision que prendra la Cour européenne des droits de l'homme ?
Je reste serein sans préjuger de la décision des juges. Néanmoins, pour bien connaître le droit européen en matière de fin de vie, j'estime que la loi Léonetti est extrêmement rigoureuse et apporte beaucoup de garanties, en particulier sur ce à quoi la Cour européenne devrait être très attentive, c'est le respect de juste proportionnalité entre le droit à la vie qui est un droit fondamental auquel tout médecin est attaché, et le droit à ne pas subir d'obstination déraisonnable qui est aussi un devoir du médecin. Nous sommes en permanence dans cet équilibre singulier, chaque cas étant un cas d'espèce. La loi Léonetti apporte toutes les garanties procédurales pour qu'il n'y ait pas d'arbitraire dans la décision médicale. Il faut un diagnostic et un pronostic consolidés, et la réflexion collégiale doit être la colonne vertébrale de l'exercice médical. Aujourd'hui, le patient revendique légitimement une autonomie. Depuis la loi de 2002 renforcée en 2005, les volontés du patient sont au cœur de la décision. Quand les volontés ne sont plus exprimables, la loi Léonetti est claire : on a le devoir de s'enquérir de ses volontés par tous les moyens, tout comme le médecin ne peut travailler sans filet, sans contrôle. Toute décision médicale peut être contrôlée a posteriori par le juge. Tous les jours, dans notre pratique, nous engageons notre diplôme de médecin.
Vous êtes vous-même catholique pratiquant. Comment vivez-vous les attaques souvent violentes de la part de catholiques intégristes ?
Dans mon livre, j'ai tenu à témoigner sur ma bonne étoile. J'ai la chance, c'est vrai d'être bien entouré, d'avoir une famille, des amis et une équipe scientifique solides. Et Les croyants ont la chance de ne jamais être seuls. Je suis un honnête homme, je ne suis pas parfait, je suis humain, mais il n'empêche que les attaques que j'ai subies sont inacceptables lorsqu'elles commencent à toucher les gens que vous aimez, en particulier vos propres enfants. Car j'ai reçu des menaces de mort, au propre comme au figuré. Dans mon livre, je dis que Vincent est un martyr. Je n'ai pas envie moi-même de mourir en martyr. Je suis plus utile vivant que mort. C'est vrai, je crains ce que j'appelle les «jihadistes catholiques». On ne sait jamais où s'arrêtent les intégristes. C'est tout de même cocasse qu'on me traite aujourd'hui d'assassin et de nazi alors que je suis un ardent défenseur de l'être humain.
Quel regard portez-vous sur les parents de Vincent Lambert ? Parvenez-vous malgré tout à les comprendre ?
Vincent est certainement parti trop tôt en terme de conscience puisqu'il est encore physiquement vivant. Mais il est mort dans sa communication et dans sa conscience depuis maintenant six ans. Je comprends cette souffrance familiale, y compris celle des parents de Vincent Lambert. Par contre, je ne comprends plus cet acharnement qualifié, ce déni de justice qui est aussi un déni des réalités. Vincent est dans un état végétatif chronique qui a été qualifié par les meilleurs spécialistes des neurosciences. C'est en raison de cet acharnement idéologique que j'ai choisi de partir. Au-delà la souffrance que je portais, je n'arrivais plus à être entendu. Je savais qu'il y avait un mur en face de moi.
Il paraît que vous avez toujours dans la poche un code de déontologie médicale ? C'est votre Bible ?
C'est ma Bible professionnelle. C'est la déontologie au sens étymologique, autrement dit la science du devoir. Le rappel des devoirs du médecin, envers nos confrères, envers les patients, sont bien des devoirs fondamentaux.
http://www.ladepeche.fr/article/2015/01/08/2024881-le-docteur-kariger-livre-sa-verite.html
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