La saisie d’une partie de ses comptes rendus médicaux, documents insérés dans le dossier médical des patients, sous-traités de l’autre côté de la Méditerranée… Selon nos informations, l’hôpital Beaujon de Clichy-la-Garenne (92) a présenté un projet d’externalisation de ces données confidentielles en Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Considérant qu’il n’était pas en mesure de donner un avis, le CHSCT a décidé le 29 juin de demander une expertise: une lettre de mission a été adressée mercredi 7 juillet à un cabinet privé agréé par le ministère du Travail. La direction devrait, elle, saisir le tribunal de grande instance pour contester le recours à l’expertise, évaluée à 40.000 euros.
Trois fois moins cher que le tarif pratiqué en France
Le marché pour l’externalisation partielle de la saisie des comptes rendus de l’hôpital Beaujon a été attribué le 23 février à la société M-Secure IT, une entreprise de sécurité informatique, immatriculée en France. Cette société a un centre "offshore" au Maroc, où sa filiale, M-Secure Medical, propose des tarifs défiant toute concurrence. Un euro la page de compte rendu, trois fois moins qu’en France. L’hôpital a estimé l’impact sur les dépenses: 60.000 euros. Sollicités samedi 10 juillet par le JDD, ni le président de M-Secure IT ni la directrice de l’hôpital Beaujon n’ont donné suite.
"Nous craignons que ce projet menace les emplois des secrétaires médicales, leurs conditions de travail, mais aussi la qualité des rapports", indique Michelle Faveur, membre du CHSCT. "Une simple virgule peut donner un tout autre sens à une phrase", explique une secrétaire médicale, estimant qu’elle aurait certainement "un important travail de correction et de mise en forme" à réaliser après réception des transcriptions. Les services concernés "en priorité" sont l’orthopédie, la neurochirurgie, l’ORL, la stomatologie et la chirurgie maxillo-faciale. Une pétition, signée par des médecins opposés à l’externalisation, a été remise à la direction de l’hôpital.
D’après le projet présenté en CHSCT, "la société prestataire fait saisir ses comptes rendus par des secrétaires médicales spécialement formées". Une relecture est assurée par un étudiant en médecine de cinquième année minimum, et une supervision globale par des médecins diplômés. Depuis la France, la secrétaire enverra les fichiers audio – enregistrés à l’aide d’un Dictaphone numérique par le médecin – via une interface sécurisée permettant un cryptage des données. "La mise en place de cette externalisation partielle fera l’objet d’une déclaration à la Cnil", indique également le document.
"Dans ce cas précis, une simple déclaration ne suffira pas", prévient la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Les flux de données personnelles vers l’étranger nécessitent une autorisation spéciale.
Une pratique "autorisée, dans un cadre très réglementé"
Aujourd’hui, aucun centre hospitalier n’a encore demandé cette autorisation. Pourtant, d’après le projet présenté en CHSCT à Beaujon, "une attention particulière" a été portée aux références de la société prestataire, "notamment en ce qui concerne les établissements hospitaliers avec lesquels une démarche similaire a pu être entreprise, et plus particulièrement ceux de l’Assistance publique". Selon la Cnil, "la pratique n’est pas encore répandue, mais si cela devenait un phénomène, il faudrait sans doute renforcer le cadre juridique. Nous restons extrêmement vigilants, particulièrement lorsqu’il s’agit de données nominatives".
Depuis plus de deux ans, le service dermatologie de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, externalise la saisie des comptes rendus médicaux. La société prestataire, parisienne, travaille aussi avec Bichat, où au moins deux services sont concernés, et donne satisfaction. A Tenon, un appel d’offres a été lancé. A la Salpêtrière, "c’est en train de se mettre en place", indique-t-on. Les syndicats fustigent "la privatisation" du service public, qui menace le secret médical, et dont les patients seront "les premières victimes
http://www.lejdd.fr/Societe/Sante/Actualite/Des-donnees-medicales-delocalisees-au-Maroc-208106
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