mardi 3 janvier 2012

Médicaments, la valse des experts

Coup de tonnerre à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Son directeur général, Dominique Maraninchi, a refusé de publier jeudi des recommandations du groupe de travail sur les anti-infectieux concernant les infections respiratoires hautes, en raison de liens d'intérêt de plusieurs experts avec des laboratoires pharmaceutiques. Conséquence immédiate : bon nombre de ces derniers ont présenté leur démission. Le Dr Philippe Foucras, médecin généraliste (sans conflit d'intérêt, précise-t-il d'emblée) et président de la Formindep, une association qui oeuvre pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes, se confie au Point.fr.
Le Point.fr : Que pensez-vous de ce qui s'est passé jeudi à l'Afssaps ?
Dr Philippe Foucras : Je dirais "bon débarras". Manifestement ces experts se croient encore sortis de la cuisse de Jupiter alors que toutes les études réalisées dans le monde entier montrent que les conflits d'intérêt sont susceptibles d'altérer la qualité des travaux. Je vous rappelle que c'est le même groupe de travail sur les maladies infectieuses qui, lors de l'épidémie de grippe A(H1N1) en 2009, avait estimé que l'on pouvait prescrire du Tamiflux à l'ensemble de la population, aux moindres signes de refroidissement, tout en précisant qu'il n'y avait aucune preuve de son efficacité. Mais il fallait écouler les importants stocks de ce médicament antigrippal. Sur notre site, on peut lire l'avis rendu. Il est hallucinant. Donc si ce type d'experts démissionne, c'est une chance pour la santé publique.
D'autres recommandations, émises précédemment, pourraient-elles être annulées ?
Oui évidemment. D'ailleurs, nous sommes très contents des avancées majeures que nous avons récemment obtenues à la Haute Autorité de santé. Souvenez-vous qu'à la suite de nos actions le Conseil d'État a abrogé deux recommandations qui avaient été établies en dépit des règles de respect de conflits d'intérêt. À la suite de cela, il s'est passé une vraie révolution à la Haute Autorité de santé (HAS). Prenez l'exemple des médicaments destinés à lutter contre la maladie d'Alzheimer. Ils ont réévalué sur les mêmes données, mais avec des experts indépendants. Résultat : leur efficacité a été revue à la baisse. De voir que l'Afssaps prend désormais en compte la jurisprudence Formindep est une vraie chance pour la santé publique. Excusez-nous de demander l'application de la loi... Car autant les réglementations internes des agences que les règles légales du code de santé publique stipulent que les experts doivent déclarer leurs éventuels conflits d'intérêt - maintenant on est plus regardant là-dessus -, mais aussi que les recommandations doivent être faites par des groupes dans lesquels les experts n'ont pas de conflit d'intérêt avec les produits dont ils vont parler.
Mais est-il possible de recruter de bons experts indépendants ?
Bien sûr. La preuve est que la Haute Autorité en trouve. Mais pour cela il faut les chercher... Cela montre bien que tous les "bons" experts ne travaillent pas forcément pour les firmes pharmaceutiques. Et que l'évaluation ou la réévaluation de patients se fait alors au mieux de l'intérêt des patients. Malheureusement, il y a encore à l'Agence européenne du médicament des Français qui ont toujours travaillé pour des firmes pharmaceutiques et qui continuent à le faire alors qu'ils sont en charge du médicament dans toute l'Europe. Eux n'ont toujours pas compris où était l'intérêt général.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/anne-jeanblanc/medicaments-la-valse-des-experts-09-12-2011-1405810_57.php

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